"You Talkin' To Me ?
En 1976, sortait Taxi Driver, de Martin Scorsese, film devenu culte depuis sa sortie en salles. La Berlinale propose cette année une version restaurée numérique en qualité 4K. Le scénariste Paul Schrader viendra présenter lui-même cette nouvelle version. Ce sera l’occasion pour nous de revoir ce magnifique long-métrage, aussi beau que dérangeant…
De retour du Vietnam, Travis Bickle, est profondément marqué par les atrocités de cette guerre. Il se fait engager dans une compagnie de taxis new-yorkaise. En parcourant la ville de long en large toutes les nuits, il est le témoin d’un spectacle violent et décadent. Ce paysage dépravé ainsi que ses rencontres nocturnes font ressortir en lui haine et traumatisme le poussant chaque jour un peu plus vers la folie. Il rencontrera une jeune prostituée de 14 ans et décidera de la délivrer de ses souteneurs. Par cette action, on comprend qu’il est en quête de rédemption.
Grâce à un scenario original de Paul Schrader, scénariste de renom (Yakuza de Sydney Pollack, Obsession de Brian de Palma, American Gigolo réalisé par lui-même ou encore Raging Bull de Martin Scorsese) à la réalisation parfaite du talentueux Martin Scorsese ainsi qu’à un jeu d’acteur incroyable (Robert De Niro, Jodie Foster, Harvey Keitel…), Taxi Driver est considéré comme un chef d’œuvre du 20ème siècle. Le film fut nommé quatre fois aux Oscars notamment dans la catégorie « meilleur film ». Il remporta la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1976.
Au départ, le projet était conçu pour le réalisateur Mulligan, et le rôle-titre écrit pour Jeff Bridges. Le script a été racheté par les producteurs Michaël et Julia Philips qui réunirent la somme de 1,3 millions de dollars. Malgré un financement difficile, le film a pu voir le jour.
Taxi Driver traite de plusieurs sujets audacieux pour l’époque et notamment de la Guerre du Vietnam (1959-1975), événement majeur dans l’histoire des Etats-Unis. En effet, l’intervention des Etats-Unis dans cette guerre a été vivement critiquée et a été l’enjeu des campagnes politiques américaines (primaires et présidence des USA). Aussi, Jonhson, McCarthy, Humphrey, Kennedy, ou encore Nixon ont tous fondé leur élection sur leur positionnement pro ou anti-guerre. Les atrocités et exactions commises par l’armée américaine (massacre de civils notamment) sont condamnées par l’opinion publique et de nombreux artistes ou hommes d’influence prennent position contre l’enlisement des Etats-Unis. Les soldats américains firent aussi l’objet de nombreuses tortures lors de leur captivité par les armées ennemies.
À leur retour, les soldats américains s’avèrent être profondément marqués psychologiquement par toutes les atrocités de la guerre. Nombreux sont rentrés traumatisés, dépressifs, ou presque fous tant les conditions de vie là-bas furent abominables. De plus, fortement encouragés au départ, ils se retrouvent dénigrés par l’opinion publique à leur retour, principalement en raison de la couverture médiatique désastreuse de cet interminable conflit.
Le cinéma s’est emparé de la Guerre du Vietnam et de nombreux films engagés ont vu le jour dès le début des années soixante-dix :
- - Le Merdier de Ted Post (1978)
- - Voyage au bout de l’Enfer de Michaël Cimino (1978)
- - The Wa rat Home de Glenn Silber (1979)
- - Apocalypse Now de Francis Ford Coppola (1979)
- - Full metal Jacket de Stanley Kubrick (1987)
- - Good Morning Vietnam de Barry Levinson (1987)
- - Platoon d’Oliver Stone (1986)
- - Rambo de Ted Kotcheff (1982)
- - Le Retour de Hal Ashby (1978)…
Martin Scorsese explique dans le livre « Scorsese par Scorsese » de David Thompson et Ian Christie sa vision du film et donne des clés au spectateur :
« Presque tout dans Taxi Driver vient de ce que je pense que les films sont une sorte d’état onirique, comme quand on prend de la drogue. Le choc qu’on ressent en sortant de la salle dans la pleine lumière du jour peut devenir terrifiant (…). Le film dans son ensemble découle un peu des impressions qu’a ressenties un homme né à New York et qui y vit. Il y a un plan où la caméra a été montée sur le capot du taxi qui passe devant un enseigne où il y a écrit « fascination ». C’est tout le sens du film : être fasciné, cet ange exterminateur qui flotte à travers les rues d’une métropole qui représente à mes yeux toutes les grandes villes (…) Il faut bien comprendre que Travis a les meilleures intentions du monde ; il croit bien faire, comme Saint-Paul. Il veut donner un grand coup de balai dans l’existence, laver son esprit, purifier son âme. C’est un mystique mais au sens où Charles Bronson l’était, ce qui ne veut pas dire que c’est une vertu. La clé du film, c’est l’idée qu’il faut être assez courageux pour accepter ses propres sentiments et les transformer en actes. Instinctivement, j’ai montré que l’action n’était pas une fin en soi, et ça a créé un regard encore plus distancié sur ce qui se passe…».
Enfin, comment terminer cet article sans évoquer une des répliques les plus cultes du cinéma américain qui est souvent reprise, citée, ou parodiée :
« You talkin' to me ? You talkin' to me ? You talkin' to me ? Then who the hell else are you talkin' to ? You talkin' to me? Well I'm the only one here. Who the fuck do you think you're talking to ? »
Robert De Niro a, dit-on, improvisé cette réplique sur le moment alors qu’elle ne figurait pas dans le scenario de départ. La légende raconte que l’acteur se serait inspiré d’un concert de Bruce Springsteen au Roxy à Los Angeles où le chanteur, de dos, aurait demandé à un public en liesse : « You talkin’ to me ? »…" EG