Un "Roi Lear" rajeuni et contemporain au Festival d'Avignon
AVIGNON (AFP) - Un "Roi Lear" de facture contemporaine, avec une langue shakespearienne rajeunie et une frontière des sexes et des générations bousculée, a été créé samedi soir au Festival d'Avignon, dans une mise en scène de Jean-François Sivadier portée par son comédien fétiche Nicolas Bouchaud.
Ce comédien est bien loin d'avoir l'âge d'un Michel Piccoli, qui, à 80 ans, a été le dernier monstre sacré en date à s'être confronté sur une scène française au rôle de ce roi Lear maudit et vieillissant, déshéritant la seule de ses trois filles qui l'aime vraiment, et déclenchant ainsi un séisme dont personne et certainement pas lui ne sort indemne.
Nicolas Bouchaud réalise une véritable performance dans ce rôle tragique, avec une composition très physique et une diction qui claque de façon splendide dans l'acoustique exceptionnelle de la Cour d'honneur du Palais des Papes.
La langue de Shakespeare connait d'ailleurs un sacré coup de jeune, dans la traduction qu'en propose Pascal Collin: si le monde est toujours ce théâtre où "les fous guident les aveugles", c'est sous les injures de "racaille, footballeur de mes deux, saloperie qui se la pète" qu'on voue aux gémonies un courtisan fourbe.
Surprise de taille, également, de découvrir qu'une des trois filles de Lear, la félone Régane, est incarnée par un comédien masculin, Christophe Ratandra, tandis que le fidèle et inflexible Kent, ainsi que le fou du roi Lear, ont subi des changements de sexe dans le sens opposé.
Ces audaces de distribution, destinées à ancrer davantage la pièce dans le monde contemporain, donnent des résultats variables, mais résolument convaincants pour Nadia Vonderheyden qui campe un Kent vigoureux et sensible.
Jean-François Sivadier, qui n'a pas opté pour la facilité en faisant du "Roi Lear" sa première confrontation de metteur en scène avec l'univers shakespearien, a également choisi d'instiller une bonne dose de distance, d'ironie et d'humour dans ce drame de près de quatre heures. La pièce gagne ainsi en respiration et en changement de rythme, même si certaines scènes y perdent en crédibilité, quand elles ne sont pas portées par les acteurs les plus convaincants d'une distribution inégale.
L'influence du théâtre de l'absurde d'un Beckett se fait également sentir dans les choix du metteur en scène, révélé avec "Italienne avec orchestre" (1997), et dont la valeur a été confirmée par ses mises en scène récentes de "La mort de Danton" de Georg Buchner et de l'opéra "Woyzzeck" d'Alban Berg.
Son "Roi Lear" sera joué au Théâtre des Amandiers de Nanterre du 15 septembre au 27 octobre avant de partir en tournée en province, en commençant par Strasbourg en novembre, et en finissant par Rennes (mars 2008) et La Rochelle (avril 2008).