Tartuffe, répétition du 8 janvier
Répétition aujourd'hui du Tartuffe de Molière avec Claire.
Piste traçée par Nadia la dernière fois : que le public puisse aller se demander si Tartuffe n'est pas réellement amoureux d'Elmire. Demande aujourd'hui de laisser concevoir ceci comme une manoeuvre au service de ses appétits. Nous avons eu la chance de pouvoir accéder à l'auditorium et quelques éléments intéressants de mise en scène ont pu d'ores et déjà être mis en place. Si Nadia semble assez satisfaite de l'intention dans l'esprit desquels nous travaillons nos personnage, elle a par contre souhaité que nous respections davantage le texte de la pièce au niveau des "e" muets et des liaisons par exemple, afin de ne pas massacrer les alexandrins, mais également que nous nous entraîniions à dire le texte comme de la prose afin de casser la petite musique des alexandrins.
Dont acte :
Tartuffe
Que le Ciel à jamais par sa toute bonté et de l’âme et du corps vous donne la santé, et bénisse vos jours autant que le desire Le plus humble de ceux que son amour inspire.
Elmire
Je suis fort obligée à ce souhait pieux. Mais prenons une chaise, afin d’être un peu mieux.
Tartuffe
Comment de votre mal vous sentez-vous remise ?
Elmire
Fort bien ; et cette fièvre a bientôt quitté prise.
Tartuffe
Mes prières n’ont pas le mérite qu’il faut pour avoir attiré cette grâce d’en haut ; Mais je n’ai fait au Ciel nulle dévote instance qui n’ait eu pour objet votre convalescence.
Elmire
Votre zèle pour moi s’est trop inquiété.
Tartuffe
On ne peut trop chérir votre chère santé, et pour la rétablir j’aurois donné la mienne.
Elmire
C’est pousser bien avant la charité chrétienne, et je vous dois beaucoup pour toutes ces bontés.
Tartuffe
Je fais bien moins pour vous que vous ne méritez.
Elmire
J’ai voulu vous parler en secret d’une affaire, et suis bien aise ici qu’aucun ne nous éclaire.
Tartuffe
J’en suis ravi de même, et sans doute il m’est doux, Madame, de me voir seul à seul avec vous : c’est une occasion qu’au Ciel j’ai demandée, sans que jusqu’à cette heure il me l’ait accordée.
Elmire
Pour moi, ce que je veux, c’est un mot d’entretien où tout votre cœur s’ouvre et ne me cache rien.
Tartuffe
Et je ne veux aussi pour grâce singulière que montrer à vos yeux mon âme tout entière, et vous faire serment que les bruits que j’ai faits des visites qu’ici reçoivent vos attraits ne sont pas envers vous l’effet d’aucune haine, mais plutôt d’un transport de zèle qui m’entraîne, Et d’un pur mouvement...
Elmire
Je le prends bien aussi, et crois que mon salut vous donne ce souci.
Tartuffe (Il lui serre le bout des doigts)
Oui, Madame, sans doute, et ma ferveur est telle...
Elmire
Ouf ! vous me serrez trop.
Tartuffe
C’est par excès de zèle. De vous faire autre mal je n’eus jamais dessein, et j’aurois bien plutôt...
(Il lui met la main sur le genou.)
Elmire
Que fait là votre main ?
Tartuffe
Je tâte votre habit : l’étoffe en est moelleuse.
Elmire
Ah ! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.
(Elle recule sa chaise, et Tartuffe rapproche la sienne.)
Tartuffe
Mon Dieu ! que de ce point l’ouvrage est merveilleux ! On travaille aujourd’hui d’un air miraculeux ; Jamais, en toute chose, on n’a vu si bien faire.
Elmire
Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire. On tient que mon mari veut dégager sa foi et vous donner sa fille. Est-il vrai, dites-moi ?
Tartuffe
Il m’en a dit deux mots ; mais, Madame, à vrai dire, ce n’est pas le bonheur après quoi je soupire et je vois autre part les merveilleux attraits de la félicité qui fait tous mes souhaits.
Elmire
C’est que vous n’aimez rien des choses de la terre.
Tartuffe
Mon sein n’enferme pas un cœur qui soit de pierre.
Elmire
Pour moi, je crois qu’au Ciel tendent tous vos soupirs, et que rien ici-bas n’arrête vos desirs.
Tartuffe
L’amour qui nous attache aux beautés éternelles n’étouffe pas en nous l’amour des temporelles ; nos sens facilement peuvent être charmés des ouvrages parfaits que le Ciel a formés. Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles mais il étale en vous ses plus rares merveilles : il a sur votre face épanché des beautés dont les yeux sont surpris, et les cœurs transportés, et je n’ai pu vous voir, parfaite créature, sans admirer en vous l’auteur de la nature, et d’une ardente amour sentir mon cœur atteint, au plus beau des portraits où lui-même il s’est peint. D’abord j’appréhendai que cette ardeur secrète ne fût du noir esprit une surprise adroite ; et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut, vous croyant un obstacle à faire mon salut. Mais enfin je connus, ô beauté toute aimable, que cette passion peut n’être point coupable, que je puis l’ajuster avecque la pudeur, et c’est ce qui m’y fait abandonner mon cœur. Ce m’est, je le confesse, une audace bien grande que d’oser de ce cœur vous adresser l’offrande ; mais j’attends en mes vœux tout de votre bonté, et rien des vains efforts de mon infirmité ; En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude, de vous dépend ma peine ou ma béatitude, et je vais être enfin, par votre seul arrêt, heureux, si vous voulez, malheureux, s’il vous plaît.
Elmire
La déclaration est tout à fait galante mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante. Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein et raisonner un peu sur un pareil dessein. Un dévot comme vous, et que partout on nomme...
Tartuffe
Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ; et lorsqu’on vient à voir vos célestes appas, un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas. Je sais qu’un tel discours de moi paroît étrange mais, Madame, après tout, je ne suis pas un ange et si vous condamnez l’aveu que je vous fais, vous devez vous en prendre à vos charmants attraits. Dès que j’en vis briller la splendeur plus qu’humaine, de mon intérieur vous fûtes souveraine, de vos regards divins l’ineffable douceur força la résistance où s’obstinoit mon cœur ; Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes. Mes yeux et mes soupirs vous l’ont dit mille fois, et pour mieux m’expliquer j’emploie ici la voix. Que si vous contemplez d’une âme un peu bénigne les tribulations de votre esclave indigne, s’il faut que vos bontés veuillent me consoler et jusqu’à mon néant daignent se ravaler, j’aurai toujours pour vous, ô suave merveille, Une dévotion à nulle autre pareille. Votre honneur avec moi ne court point de hasard, et n’a nulle disgrâce à craindre de ma part. Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles, sont bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles, de leurs progrès sans cesse on les voit se targuer, ils n’ont point de faveurs qu’ils n’aillent divulguer et leur langue indiscrète, en qui l’on se confie, déshonore l’autel où leur cœur sacrifie. Mais les gens comme nous brûlent d’un feu discret, avec qui pour toujours on est sûr du secret : le soin que nous prenons de notre renommée répond de toute chose à la personne aimée, et c’est en nous qu’on trouve, acceptant notre cœur, de l’amour sans scandale et du plaisir sans peur.
Elmire
Je vous écoute dire, et votre rhétorique en termes assez forts à mon âme s’explique. N’appréhendez-vous point que je ne sois d’humeur à dire à mon mari cette galante ardeur, et que le prompt avis d’un amour de la sorte ne pût bien altérer l’amitié qu’il vous porte ?
Tartuffe
Je sais que vous avez trop de bénignité et que vous ferez grâce à ma témérité, que vous m’excuserez sur l’humaine foiblesse Des violents transports d’un amour qui vous blesse, et considérerez, en regardant votre air que l’on n’est pas aveugle, et qu’un homme est de chair.
Elmire
D’autres prendroient cela d’autre façon peut-être mais ma discrétion se veut faire paroître. Je ne redirai point l’affaire à mon époux mais je veux en revanche une chose de vous : c’est de presser tout franc et sans nulle chicane L’union de Valère avecque Mariane, de renoncer vous-même à l’injuste pouvoir qui veut du bien d’un autre enrichir votre espoir, Et...